Le pouvoir du signifiant

Le Temps, hors-série art
Catherine Cochard

«Je voulais formellement aplatir la tridimensionnalité de ces surfaces, de façon à ce qu’on perde ses repères face à elles. J’ai également joué avec l’idée du trompe-l’oeil, en inversant ses effets. D’ordinaire, une peinture fait croire à un espace en trois dimensions, or ici c’est l’architecture qui joue à la peinture, qui devient plate, une forme de peinture.» C’est ainsi que le Lausannois explique la démarche qui a vu naître Séduction, une série photographique de chœurs d’église initiée en 2009.

«J’avais envie de parler de la spectacularité de notre société contemporaine et je me suis dit qu’il serait intéressant d’user de ces églises – ces architectures du passé – comme des allégories pour parler du présent.» Un travail de diplôme qui lui a non seulement permis de boucler ses études à l’ECAL mais également de vendre pour la première fois des œuvres à un collectionneur. Et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du galeriste Larry Gagosian, l’un des hommes les plus puissants du marché de l’art. «J’ai reçu un e-mail de son assistante, je ne savais même pas qui c’était! Mais quand j’ai vu de qui il s’agissait… Il m’a demandé de lui envoyer la série complète pour pouvoir choisir puis il m’a dit qu’il les aimait toutes, que je devais en choisir deux pour lui. C’est ainsi qu’elles ont rejoint sa collection personnelle.» Avoir comme premier acheteur Larry Gagosian, ce ne peut qu’être un bon présage.

Après le religieux, c’est à d’autres lieux d’exercice du pouvoir que le jeune photographe – il est né en 1984 – s’intéresse. «J’ai voulu donner une réponse ­contemporaine à ces églises. Je me suis mis à travailler sur «Meetings», soit des photographies des assemblées générales de grandes entreprises européennes – UBS, Novartis, Siemens ou Deutsche Telecom – juste avant que les actionnaires ne prennent place.» Au centre, des écrans lumineusement immaculés et devant des chaises alignées au cordeau. Ce pouvoir aussi s’ordonne selon une quantité de signifiants et de signifiés.

«Puis j’ai cherché à approfondir cette idée d’architecture du pouvoir. Mais de l’architecture en tant que matière formelle ou fictionnelle et le pouvoir comme une énergie, une force physique.» Cette autre série s’appelle «Speech» et figure des motifs en fractales dont on ne saurait déjouer le dispositif. «Il s’agit de haut-parleurs que j’ai rempli d’eau et dans lesquels j’ai diffusé des discours politiques. Le liquide prend une structure particulière, sous l’effet des propos amplifiés.» La rhétorique du langage – l’outil du pouvoir politique – se matérialise.

Le Temps, hors-série art
Catherine Cochard