Dieu s’habille en baroque

L’hebdo
Isabelle Falconnier

Les angelots dégoulinent de partout, des flots de dorures s’épanchent sur les colonnades surchargées, stucs, saints et Vierges rivalisent d’exubérance pâtissière: non, nous ne sommes pas chez Antonin Carême mais au coeur de quelques-unes des plus belles églises baroques de France, d’Allemagne ou d’Autriche. C’est leur choeur, justement, qu’a choisi de photographier Cyril Porchet pour un travail artistique qui, depuis qu’il a été présenté comme travail de diplôme à l’Ecole cantonale d’art de Lausanne (Ecal) en juin dernier, connaît un fabuleux destin: Prix fédéral de design 2010, publication dans le magazine Wallpaper, où il est repéré par la galerie new-yorkaise de Larry Gagosian, qui lui achète deux pièces, accrochage à la Maison européenne de la photographie à Paris dès le 23 juin.

Né à Lausanne il y a vingt-six ans, fasciné par l’art de la mise en scène et du décor propres à notre époque, Cyril Porchet est parti au printemps 2009 sillonner les routes, de la Bavière à l’Andalousie dans son vieux bus VW, après avoir repéré dans des guides ou sur des sites internet des églises correspondant à sa vision: «Je cherchais des choeurs baroques splendides, très chargés, à l’ornementation très concentrée, saturée. Avec des plafonds indissociables de l’autel et des parois.» Il en repère une dizaine, pose sa chambre noire grand format au milieu des visiteurs ou du silence, prie pour que les trois minutes minimales de temps de pose ne soient pas dérangées par des flashs. Lumière naturelle. Tirées en grand format de 120 sur 160 cm, les photographies sont ensuite placées sous verre acrylique, comme un clin d’oeil aux reliques sous verre qui se trouvent dans ces églises.

La série de dix photographies s’intitule Séduction. C’est bien de cela qu’il s’agit: «Je ne voulais pas particulièrement parler de spiritualité, de religion. Je voulais surtout montrer la mise en scène d’une idéologie. Les historiens d’art ont mis en avant l’idée que le style baroque s’est développé à une époque où l’Eglise catholique réagissait face à une nouvelle science et à de nouvelles formes de religion. Le baroque monumental était un style que la papauté pouvait instrumentaliser, comme le firent les monarchies absolues. Le baroque a donc d’une certaine manière servi une volonté de reconquête des âmes. C’était un outil puissant de communication, de manipulation, voire de propagande. Aujourd’hui, nous vivons la même chose avec l’accumulation du spectacle, de la communication, de la représentation du monde chère à Debord.» Catholique, Cyril Porchet a un grand-père maternel hollandais fervent croyant – neuf enfants, prière à table. Du côté de son père, pharmacologue «athée», c’est l’inverse. «Peut-être que, inconsciemment, mon travail a reproduit un débat familial, des questions qui se posent dans mon entourage, que moi-même je me pose. Avec mon appareil photo, j’ai fait une sorte de pèlerinage, j’ai pris du recul.»

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Isabelle Falconnier